Russie, Carélie, 64,3°N – 30,3°E, kilomètre 12 de la « route » pour Luvuzero. Il fait environ -23°c et je retrouve Pierre à 21h avec un jour et quelque de retard. Seulement, oserais-je ajouter.
Entre les arbres, n’eût été la présence de la motoneige, on pourrait commencer à prendre peur. Quelques traces dans la nuit qui tombe de tout son poids sur la taïga. Un glouton, d’après Pierre. Les ombres noires et droites de cette étrange forêt défilent dans le seul bruit du moteur et de la poudreuse qui frappe le visage. C’est la taïga ; un monde immense de sapins centenaires plongé dans le silence ouaté de la neige 8 mois par an, à peine troublé par quelques animaux qui y laissent leurs traces furtives.
Sur le traîneau de la motoneige, c’est la fête des bosses. Si j’ai un problème, c’est simple, il suffit de crier à mon conducteur ; qui n’entend rien de toute façon, avec le boucan que fait la machine. Le traîneau finit par se détacher sous la violence des sauts. Chance, Pierre s’en rend compte assez vite. « C’est du matériel russe », précise-t-il immédiatement en revenant vers moi. Un gros nœud et hop, c’est reparti.
Entre la lune et les étoiles, le ciel est dessiné à l’encre. Après une heure de montagnes russes – c’était l’occasion ou jamais – se pointe une lumière jaune. C’est l’isba ; la grande cabane, en russe. Arrivé !
Il y a Vladimir, Maria et Clémence. Avant que Maria se pointe, hier midi – à l’heure, elle – ils n’étaient que 3 avec Pierre. Le genre de séjour qui vous fait connaître votre aptitude à la solitude partagée. Ici, ça a l’air de bien se passer.
Clémence sort à nouveau, drôle d’idée à ce niveau-là du thermomètre. L’étrange couleur du ciel au crépuscule lui a fait penser que la nuit serait courte. Et elle a eu raison, car c’est déjà l’aurore. Boréale, s’entend. La plus grande de l’année, juste en-dessus de nos têtes, enfin à quelques 100 ou 1000 km à la verticale du lac gelé. Sans doute une grande tempête solaire a-t-elle commencé il y a quelques minutes. Ainsi, les particules chargées débarquent sur la Terre et bombardent notre bouclier magnétique par le pôle nord. Enfin, c’est un peu plus compliqué que ça, car d’après les satellites américains de Thémis (2008), la réaction commence dans les liens magnétiques qui unissent la Terre à la Lune. Mais l’explication ne change rien au résultat : plus d’une heure de draperies scintillantes au clair de lune, un ballet phosphorescent continu, avec ses variations fantastiques, du vert émeraude jusqu’au mystérieux rouge. Rêve d’un soir…
magique !!
Waouh…magique aussi…vraiment superbe…